La pie continue son enquête

"D'abord, retournons chez les Bipèdes, songe la pie. On va bien voir comment la situation évolue."
La situation n'évolue guère, mais les propos tenus gagnent de la vigueur...
"Les bipèdes ont eu le don de la parole, mais c'est vraiment pour dire des bêtises" songe-t-elle, un peu plus tard, après avoir écouté essentiellement les opinions de ceux qui ne savent rien mais ont une opinion décisive sur tout.
Elle se pose sur une branche, fait mentalement le tri de ses informations pour le héron et repart, mais cette fois-ci vers la forêt.
"Au tour des nocturnes, ricane-t-elle, tant pis si je les réveille !"
Effectivement, le hibou (ou la chouette, la pie ne sait pas trop ; on dira que c'est un hibou) est moyennement satisfait d'être tiré de son sommeil, mais l'information qu'il détient est d'importance :
"Un loup ! s'étrangle la pie, tu es sûr ?"
Le hibou s'offusque : "Ai-je une tête à dire des billevesées ?" La pie convient que non.
"Donc, reprend-elle, un loup a été aperçu par plusieurs de tes camarades nocturnes la nuit dernière. Mais comment savent-ils que c'est un loup ?
- Le renard, qui a beaucoup voyagé, en a rencontré il y a longtemps. Il est formel : c'est bien un loup. Il l'a vu passer à quelques mètres de lui, alors qu'il était caché dans un fourré. Le loup a fait semblant de ne pas le sentir, d'ailleurs..."
La pie remercie le hibou et s'en va, toute songeuse...

La pie n'a pas tout à fait tort : il se dit beaucoup de bêtises, chez les humains.
Mais il ne se dit pas que des bêtises.
Les éleveurs sont furieux et inquiets. La preuve est faite, les analyses sont formelles : la troisième génisse attaquée et partiellement dévorée a été victime d'un loup.
Les troupeaux ne pouvant pas être rentrés tous la nuit à l'abri, beaucoup craignent ses attaques nocturnes.
Et puis, le fait que les attaques aient lieu à proximité des habitations inquiète beaucoup la population.
Des mesures de prévention sont prises : rabattement et effarouchement sont à l'ordre du jour.

Le héron hoquette : "Un loup ? Ici ?"
Il se maudit intérieurement : quelle idée a-t-il eu de chercher des responsabilités.
Se démettre ? Hum ! Non, pas très glorieux. Il soupire, regarde la pie, commence une phrase, s'arrête... et se décide enfin:
"Tu sais, Pie, que tu es un merveilleux enquêteur ?
- Aïe, songe la pie...
- Je ne demanderais pas une telle chose à quelqu'un d'autre... (là, la pie s'inquiète vraiment). Voilà. Hum ! Je souhaiterais que ... euh (très vite) que tu trouves le loup et que tu lui poses quelques petites questions. Bien entendu, je te préparerai une liste.
- Non, fait calmement la pie.
- Comment ça : non ?
- Non, je n'irai pas voir le loup. C'est tout. Et puis, ça fait trois jours que je travaille sans m'arrêter ; je m'en vais aller prendre un peu de repos."
La pie salue le héron, prend son envol et disparaît.
"Hum !" fait le héron. "C'est pas vrai ! Il va falloir que j'y aille moi-même ! Enfer et damnation !"

Enfin, le doute, pour les humains, n'est plus permis : le loup est aperçu trois jours après l'attaque du veau, dans un chemin, près de la forêt. Les chasseurs proposent leur aide, et, en attendant, fourbissent leurs armes.
Lors d'une traque d'effarouchement, le loup est de nouveau aperçu

À grands regrets, le héron quitte son marais, de sa démarche chaloupée qui est une de ses caractéristiques les plus charmantes.
"Et puis non, se dit-il, la journée est trop avancée... J'irai demain"

Le 14 mai, la préfecture de l'Isère renforce le dispositif de surveillance mis en place à la suite des attaques : des patrouilles en voiture, des mesures de rabattement et des tirs d'effarouchement par les lieutenants de louveterie et les agents de l'ONCFS, dans une zone de dix communes autour de Saint Geoire en Valdaine.

Durant la nuit du 14 au 15, une patrouille de l'ONCFS aperçoit le loup dans le secteur du bois des Fayeux (St Geoire en Valdaine).

Le 17 mai une battue d'effarouchement est organisée dans le bois des Fayeux, sous l'autorité des lieutenants de louveterie avec pour objectif de faire fuir le loup.

Le 18 mai, le loup est aperçu en lisière du bois de Servelongue durant une battue d'effarouchement. D'une taille imposante, il disparaît en contrebas dans le bois après avoir laissé des poils sur les barbelés.